Le Livre de mon fils

XI

Je t'ai parlé du christianisme comme d'une aventure à tenter, mon fils ! J'avais raison. Une aventure qui te prendra tout entier. Corps et âme, te voici entièrement engagé. Tu es parti sur la grande route inconnue et tu ne vois plus déjà le seuil de la maison quittée…

Mais tu n'es pas seul. Quand le voyageur sur les routes de la terre s'en va, le vent et les parfums l'accompagnent. Il suit des haies où des vols d'alouettes s'enfuient dans un froissement d'ailes percé de cris. Des arbres bordent le chemin et si la nuit vient, au ciel se lèvent les étoiles. Elles guident le voyageur, elles lui parlent.

Étoiles que de fois vous avez peuplé mes nuits solitaires. Vous m'étiez des regards très doux. Je ne m'indignais plus. Autour de moi vivait votre sollicitude. Je reposais dans votre amour car entre nous s'établissait un échange. Mon âme se dilatait jusqu'à vous qui me vouliez votre paix.

Ils t'attendent. Ils sont cet arbre, et ce parfum. Ils sont cette étoile à ton firmament. La route de la grâce est toute bordée d'anges qui veillent. Dieu avait pour chacun de tes détours, ses sollicitudes formulées étaient là qui t'attendaient.

O mon fils, à chaque minute de ta vie est un ange, à chaque moment décisif.

Quand tu auras vécu et que tu te retourneras vers ta vie, tu mesureras combien ces anges t'ont guidé. Tu croyais te conduire toi-même : à chaque fois que la route tournait une main te prenait. Pour les grands faits qui ont dominé notre vie, qui l'ont orienté, nous n'avons jamais opté nous-mêmes. Avons-nous choisi la venue de l'amour ? Avons-nous choisi cette rencontre d'où toute notre existence a découlé. Les faits déterminants de notre vie sont les plus fortuits.

Providence ! Tu es dans la main de Dieu mon fils. Abandonne-toi. Laisse faire. Sois l'enfant malade entre les bras de sa mère, si confiant. Âcre est la potion. Il la boit pourtant, si grande est sa sécurité qu'on l'aime. « Qui de vous si son fils lui demande un pain lui donne une pierre ? Vous faites ainsi, méchants que vous êtes. Combien plus votre Père qui est bon ». Abandonne-toi.

Quelle paix, O mon fils. Je vois ma vie pensée par un Dieu qui m'aime. Chacun de mes instants est sa sollicitude. Ne luttons plus. Soyons le nageur qui s'abandonne au courant. L'eau le porte. Non point que cesse tout effort. Il doit flotter. Mais cet effort s'exerce dans le sens même du fleuve.

L'Amour t'enveloppe, O mon fils, l'Amour te pense. Ineffable mystère d'un Dieu qui de nous semble faire son dieu. Il mendit la parcelle d'amour que nous voulons bien lui donner. Chacun des battements de son cœur, il nous le rapporte. Il nous aime. Tu ne sais pas encore ce qu'est aimer, la négation de tout soi-même. Cette passion Dieu l'a pour nous. Il guette chacun de nos acquiescements. Comme le mère d'un enfant difficile et personnel se satisfait du moindre sourire, il se contente de nos rares abandons. De quelques instants de bonne volonté il tisse une éternité de bonheur.

Ose croire en la Providence. Voici le moment le plus décisif de l'aventure. Les sagesses humaines abandonnées, entraves qu'on rejette au quai, le vaisseau démarre. Nous ne croyons plus à la sagesse humaine. Nous bâtissons notre vie sur ses raisonnements, il faut désormais l'appuyer sur cette seule certitude que Dieu nous aime et partir.